Pour les Swiss Art Awards 2023, Mathias C. Pfund (*1992) propose une exposition de synthèse de sa réflexion artistique récente. Ce dernier a obtenu un Master en Arts Visuels à la HEAD (Genève) en 2016, avant d’obtenir un second Master en Histoire de l’art à l’Université de Genève en 2019 et s’interroge désormais, entre autres, sur les valeurs de la culture muséale. En effet, si les sculptures présentées n’ont pas été créées spécialement pour l’occasion, elles sont cependant articulées d’une façon inédite, de façon à élucider cette pratique de l’artiste. Sous le titre de Footnote Sculptures, il expose quatre œuvres : trois copies de sculptures préexistantes qu’il manipule pour faire émerger un sens nouveau ainsi qu’un socle déguisé en caisse de transport. Les sculptures originales sont toutes chargées d’une histoire politico-artistique, ce qui densifie considérablement le discours que Mathias C. Pfund y ajoute par la copie.
Or, Contrairement aux notes de bas de page d’un texte, lesquelles se situent matériellement sur la même page que le propos qu’elles explicitent ou dont elles indiquent la source, les Footnote Sculptures nous privent du « texte premier » qu’elles augmentent. Un certain décalage est alors créé entre le référé et le référent, ce qui donne un certain caractère hermétique à son œuvre. Les Footnote Sculptures ne sont compréhensibles que si l’on connaît les œuvres originales auxquelles elles renvoient. Pour permettre aux spectateur·rice·x·s de comprendre les discours générés, un quatrième élément vient compléter l’espace d’exposition : une édition de poster A2 en libre-service tirée à 500 exemplaires intitulée Dropping the other shoe, présentant un texte de Marilou Thiébault. Ce texte nous offre une description détaillée des trois œuvres et des manipulations qu’elles ont subies, ainsi qu’une explication du concept de Footnote Sculptures.
Les manipulations de codes muséographiques ne s’arrêtent pas là. Un autre geste constitutif de l’exposition consiste en la prise en charge de l’un des deux cartels présents sur le mur de droite. En effet, Mathias C. Pfund reprend à son compte les codes graphiques (typographie, mise en page) du cartel officiel et produit un plan de salle. Ce dernier lui offre un support privilégié pour donner quelques clés de lecture sur son travail. La singularité de cette « contrefaçon » (réalisée avec la complicité des Swiss Art Awards, qui se sont chargés de l’imprimer sur le même papier adhésif) ne se révèle d’ailleurs qu’à travers l’expérience des autres stands des bourses fédérales. En investissant les éléments de paratexte et en brouillant le statut du texte d’exposition, qui devient ici un objet esthétique au même titre que ses sculptures, l’artiste semble paradoxalement vouloir nouer un pacte de lisibilité avec le spectateur. Dans cette perspective, le caractère épuré de la mise en scène devient un leurre puisque les conventions muséographiques historiques conditionnant l’expérience esthétique du public ont été paramétrées et font partie du processus d’écriture de l’exposition par l’artiste.
Le rapport au texte est d’ailleurs un enjeu majeur des Footnote Sculptures, permettant de transmettre les anecdotes et récits auxquels les œuvres renvoient. Même si les reproductions de Mathias C. Pfund formulent un commentaire d’ordre esthétique sur les œuvres originales, l’absence d’éléments (para)textuels contrarierait une grande partie de leur compréhension. Cette pratique s’inscrit par ailleurs dans une généalogie du Ready-Made et de la critique institutionnelle. L’idée de Marcel Duchamp était en effet de placer un objet du quotidien dans un contexte artistique pour démontrer comment l’objet change son statut en œuvre d’art, et en outre de réfléchir au rôle de l’artiste et du musée. Cette même démarche se retrouve chez Mathias C. Pfund qui reprend des objets existants pour en formater le discours et le mettre, en quelque sorte, au goût du jour, au travers de thématiques plus actuelles, telle que la décontextualisation d’objets archéologiques, entre autres.
En admettant que ces stratégies peuvent s’inscrire dans le champ historique de la critique institutionnelle, la pratique de Mathias C. Pfund cherche principalement à établir un dialogue avec les institutions accueillant son travail. Mathias C. Pfund produit un discours non seulement au travers de ses œuvres, mais également en mobilisant divers appareils muséographiques et gestes curatoriaux. Si la description des œuvres est nécessaire à la compréhension de leur discours, c’est aussi car cette description fait partie du dispositif même de l’exposition. En outre, c’est un réel pacte que l’artiste crée avec le·la spectateur·rice·x, qui doit se pencher sur les sculptures et leurs histoires – détaillées dans Dropping the other shoe – pour dépasser l’hermétisme du discours et accéder aux enjeux auxquelles elles se réfèrent. Des enjeux qui, bien que toujours basés sur la critique institutionnelle, s’étendent des questions du statut de l’œuvre d’art à la présentation de celle-ci, en empruntant à la longue lignée d’artistes du 20e siècle qui ont questionné les valeurs de la culture muséale. Au moment de découvrir la proposition de Mathias C. Pfund, n’oubliez donc pas de rester attentif·ve·x·s aux indices dispersés pour ne pas vous arrêter à une appréciation strictement esthétique de ces sculptures !